La France retire sa décoration à un tortionnaire argentin
2020-05-11 01:52:37
Ricardo Cavallo, deux fois condamné à perpétuité dans les années 2000 pour crimes contre l’humanité pendant la dictature, avait reçu l’Ordre national du mérite en 1985 à Paris.
Mais quelques mois avant la fin de la dictature, en reconnaissance de ses services rendus, celui qu’à l’ESMA on surnommait « Sérpico » ou « Marcelo » a été envoyé en France, où l’on ne connaissait pas son rôle pendant les années de plomb en Argentine, comme attaché de la marine à l’ambassade d’Argentine à Paris. C’est là, le 27 juin 1985, deux ans après le retour de la démocratie, que l’Etat français lui a remis l’Ordre national du mérite. « Les décorations pour tout attaché militaire (ou naval, ou de l’air) en fin de mission représentent une sorte de courtoisie diplomatique sans signification particulière », précise un ancien diplomate du Quai d’Orsay.
Arrestation au Mexique en 2000
A l’époque, l’impunité était totale pour les tortionnaires de la dictature après le vote de lois d’amnistie en 1985 et 1986. Des milliers de militaires, de policiers et de civils responsables de crimes ont ainsi échappé à la justice.
En 1989, Ricardo Cavallo, toujours libre de ses mouvements, s’est installé au Mexique sous le nom de Miguel Angel Cavallo. Il y dirigeait une entreprise argentine, Talsud. Cette dernière avait obtenu, au sein d’un consortium dont faisait également partie l’entreprise française Gemplus – à l’époque leader mondial des cartes à puces –, l’adjudication du Registre national des véhicules du Mexique, chargé de fabriquer les cartes grises. Pour certains de ses accusateurs, l’ex-militaire avait pu créer Talsud grâce aux pillages effectués dans les maisons de ses victimes et l’appropriation illégale de leurs biens personnels.
Sa véritable identité n’a été révélée que onze ans plus tard, en 2000, par le journal mexicain Reforma. Il a alors été extradé en Espagne, où le juge Baltasar Garzon avait porté plainte, au nom du principe de la juridiction universelle, contre de nombreux Argentins pour « génocide et terrorisme d’Etat » pour leurs crimes commis pendant la dictature. Arrêté à l’aéroport de Cancun, au Mexique, le 24 août 2000 alors qu’il s’apprêtait à fuir en Argentine, où il se savait protégé par les lois d’impunité, il a été envoyé à Madrid trois ans plus tard. Mais alors qu’il attendait d’y être jugé, le Parlement argentin a annulé, en août 2003, les lois d’impunité. Ce qui a permis son procès à Buenos Aires, où il a été finalement extradé en 2008.
L’Ordre national du mérite remis par la France en 1985 irritait les organisations de défense des droits humains, qui avaient signé en janvier une lettre demandant aux autorités françaises de la lui retirer. « Nous qui avons subi dans notre chair sa perversion, sa violence et son cynisme, nous n’avons pu qu’être sidérés en apprenant que cette distinction avait été donnée à un tel criminel », avaient écrit Victor Basterra, Miriam Lewin et Lila Pastoriza, survivants de l’ESMA.
La décoration était passée inaperçue jusqu’en 2010, date à laquelle le ministre des affaires étrangères français de l’époque, Bernard Kouchner, avait confirmé à une organisation non gouvernementale que la France l’avait bien attribuée.