De la Syrie au Venezuela : l'incontrôlable Erdogan

  • 2019-02-01 20:34:12
Le président turc ne facilitera pas le retour des djihadistes français. A quoi joue-t-il ?La question était inquiétante, elle devient brûlante : la France, et plus largement l'Europe, peuvent-elles encore attendre de la Turquie le moindre secours ? Malgré de nombreux désaccords de fond, on aurait pu croire, après l'accord du 18 mars 2016 qui prévoyait le retour des nouveaux migrants vers le territoire turc, qu'une nouvelle ligne de négociations froidement réaliste s'installait entre, d'une part, une Union européenne pressée par l'urgence des défis entraînés par les différentes crises du Moyen-Orient et, d'autre part, un pays musulman qui tenait toujours à conserver une relation privilégiée avec l'Occident en dépit de son prisme particulier pour le monde islamique et de ses intérêts rapprochés avec la Russie. Erdogan fait fi de l'Alliance atlantique Or l'évolution ininterrompue du président turc Recep Tayyip Erdogan démontre à l'évidence l'inverse. L'affranchissement d'Ankara par rapport à ses alliances ou à ses orientations d'hier est désormais total, il dessine notamment une voie stratégique faisant fi de l'Alliance atlantique : a-t-on déjà vu un pays membre de l'Otan acheter des missiles sol-air russes S-400, ou bien acheter sa première centrale nucléaire à un consortium russe ? Les derniers développements de cet éloignement croissant sont très alarmants. Avec le retrait des forces spéciales américaines du nord de la Syrie, décidé unilatéralement par Donald Trump à la fin de 2018 (dans une zone où les Kurdes ont pourtant éradiqué Daech avec bravoure), surgit le problème particulièrement épineux des djihadistes français. Les Kurdes nous ont prévenus : en cas d'attaque turque destinée à les écraser, ils seront entièrement absorbés par les combats et se verront obligés de libérer hommes, femmes, mais surtout plusieurs dizaines d'enfants, actuellement détenus dans leurs prisons en tant que terroristes de l'Etat islamique. C'est la réponse des Kurdes au lâchage dont ils font l'objet de la part des Américains et, de façon contrainte et forcée, de la part de leurs alliés français ou britanniques. En conséquence, les familles djihadistes devront transiter par l'Irak pour rejoindre la France puisque les forces d'Ankara n'auront aucune envie de faciliter le transit de ces dangereux terroristes et de leur progéniture juste pour rendre service à la France. Bien au contraire, le régime d'Erdogan est ravi de pouvoir rendre la monnaie de sa pièce à la République française, qui a maintes fois rappelé au président turc ses devoirs en matière de droits de l'homme. "Maduro, mon frère, tiens bon!" A ceux qui trouvent une explication dans la proximité entre les Kurdes de Syrie et les Kurdes du PKK turc, lesquels sont considérés comme de vrais terroristes (y compris par l'UE), voici un autre exemple, carrément exotique et très parlant. Face au régime affameur, confiscatoire et autoritaire du Vénézuélien Nicolas Maduro, désormais contesté par l'opposant Juan Guaido, Erdogan a affiché le même point de vue que les Russes. Maduro peut compter sur ces alliés-là : les islamistes de l'AKP saluent le "champion de l'anti-impérialisme" et le président turc n'a pas ménagé son soutien : "Maduro, mon frère, tiens bon. Nous sommes avec toi !", lui a-t-il déclaré au téléphone. Les liens économiques et financiers entre la Turquie et le Venezuela sont denses ; Recep Tayyip Erdogan, qui fut reçu à Caracas comme un sultan, il y a quelques semaines à peine, en décembre 2018, apporte une pièce essentielle au "front multipolaire" de Maduro, qui réunit aussi l'Iran et la Russie. Cette fraternité indécente, qui s'étend des Caraïbes à la Méditerranée, a pour trait commun la détestation des Occidentaux et de leur modèle. Au mieux inclassable, mais plus précisément incontrôlable, Erdogan est devenu la brèche béante de l'Europe ballante. Du moins tant que cette dernière renâclera à devenir une vraie puissance ; or, pour survivre, elle devra le faire. AFP.

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