« Le Mémorial de Sainte-Hélène », journal d’exil devenu bréviaire de la pensée napoléonienne
2021-04-24 14:45:22
Le manuscrit d’Emmanuel de Las Cases, secrétaire de Napoléon, a servi de base à la rédaction de l’ouvrage publié en 1823, présenté comme le compte-rendu de ses conversations avec l’empereur.
Nous publions, ci-dessous, des extraits du Mémorial de Sainte-Hélène - Le manuscrit retrouvé (Perrin, 2017), issu du journal du compagnon d’exil et secrétaire de Napoléon, Emmanuel de Las Cases, confisqué par le gouverneur britannique Hudson Lowe au moment de son départ de Sainte-Hélène, en décembre 1816. Ce journal, rapportant les propos de Napoléon, est envoyé par Lowe à son ministre des colonies à Londres, patiemment recopié par les scribes du ministère, et rendu à son propriétaire, en septembre 1821. Il servira de base à la rédaction du fameux Mémorial de Sainte-Hélène, best-seller du XIXe siècle, publié par Las Cases à partir de 1823.
La copie conservée à la British Library, la bibliothèque nationale du Royaume-Uni, a été retrouvée, en 2005, par l’historien britannique Peter Hicks. Editée, présentée et commentée par Thierry Lentz, Peter Hicks, François Houdecek et Chantal Prévot, de la Fondation Napoléon, elle a été publiée en 2017.
« Dimanche 14 janvier 1816. La Contre-Révolution entière est ce que les puissances [coalisées contre la France] ont voulu. Le roi [Louis XVIII] va l’exécuter. Les deux grands partis de Marius et de Sylla [leaders respectifs des partis de la plèbe et de l’aristocratie pendant les guerres civiles de la République romaine, entre 88 et 82 avant J.-C.] vont diviser l’Europe. Voilà le vrai motif de leur haine contre moi. Après la perte de la Belgique ; après le traité de Paris [30 mai 1814, qui suit la première abdication de Napoléon], je n’étais plus à craindre. Mais j’étais l’homme de la Révolution ; ils haïssent la Révolution encore plus que moi ; ils la poursuivent dans ses ruines.
Mercredi 12 juin 1816. Ceci a porté la conversation sur Saint-Domingue. (…) L’Empereur au retour se fût raccommodé avec eux [les esclaves révoltés]. Il les eût reconnus, contentés de quelques comptoirs. Il eût tâché de les rallier à la mère patrie, et d’en obtenir un commerce de famille. Il se reprochait sa tentative sur cette colonie lors du Consulat. C’était une grande faute, disait-il, que d’avoir voulu la soumettre par la force. Il devait la gouverner par l’intermédiaire de Toussaint [dit Toussaint Louverture, 1743-1803, leader de la révolte]. La paix n’était pas encore assez établie. Les richesses territoriales qu’il eût acquises en la soumettant n’eussent enrichi que ses ennemis. Les colons étaient presque tous royalistes ou de faction anglaise. L’empereur avait d’autant plus à se reprocher cette faute qu’il l’avait vue et qu’elle était contre son inclination. Il avait cédé à l’opinion du Conseil d’Etat, à celle de ses ministres, à l’opinion, aux cris des colons qui formaient un gros parti. Il n’y avait envoyé que seize mille hommes, et il eût réussi sans des circonstances de pur accident, la fièvre jaune, la mort du général en chef, une nouvelle guerre, etc. Toussaint n’était pas un homme sans mérite, bien qu’il ne fût pas ce qu’on a essayé de le peindre dans le temps. Son caractère, d’ailleurs, prêtait peu, il faut le dire, à inspirer une véritable confiance. Il eût fallu toujours s’en défier.