« La vie psychique du racisme » : aux racines de l’inconscient colonial

  • 2021-05-07 20:38:27
Dans leur essai, les psychanalystes Sophie Mendelsohn et Livio Boni explorent, à partir du travail d’Octave Manonni, la mécanique du déni de réalité qui rend encore difficile de penser la question raciale aujourd’hui. Livre. Partis du constat de la quasi-absence de la question du racisme dans la psychanalyse française, alors que celle de l’antisémitisme y est omniprésente, les psychanalystes Sophie Mendelsohn et Livio Boni entreprennent, dans La Vie psychique du racisme, de « rendre compte des amorces, des percées, des ensevelissements et des résurgences de la question de la race dans la psychanalyse française », afin de dégager « de nouvelles pistes pour aborder la question raciale dans l’inconscient postcolonial ». Pour ce faire, ils s’appuient essentiellement sur l’œuvre d’Octave Mannoni (1899-1989), philosophe converti à la psychanalyse après avoir rencontré Lacan en 1945, et qui a enseigné pendant un quart de siècle dans les colonies, en Martinique, à La Réunion et à Madagascar. La question du racisme a surgi dans la pensée psychanalytique française au début des années 1950, depuis les marges coloniales, avec le « livre événement » de Frantz Fanon Peau noire, masques blancs (1952) et Psychologie de la colonisation (1950), d’Octave Mannoni. Ce dernier appréhende le racisme et son ancrage colonial et « inverse la thèse d’une infériorité des peuples colonisés, attribuant l’entreprise coloniale au “complexe d’infériorité” de l’homme européen », lequel cherche, depuis la modernité, à « prouver son indépendance, son autonomie et son caractère de sujet libre de toute attache transcendantale au moyen d’une action de domination sur le monde, domination qui ne se résume pas au déploiement des moyens de la technoscience, mais inclut l’assujettissement des autres ». « Le racisme de matrice coloniale se présente, dès lors, (…) comme une formation névrotique visant à affirmer l’exceptionnalité de l’homme blanc moderne », qui a besoin d’un autre − « primitif », « sauvage » − pour être reconnu comme tel. S’identifier à la « race » blanche permettrait de ne plus avoir à prouver sa supériorité. Le texte de Mannoni a été vivement critiqué par les penseurs engagés dans les luttes pour l’indépendance, à l’instar de Frantz Fanon, Aimé Césaire ou Alioune Diop, qui lui ont reproché de faire peu de cas de l’économique et du politique pour expliquer les ressorts du colonialisme et, surtout, d’avancer l’idée d’un « complexe de dépendance » du colonisé, rendant celui-ci coresponsable de la colonisation, puisqu’il en a « besoin » pour conjurer une peur de l’abandon et trouver une sécurité affective.

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