Confronté à un important mouvement de contestation de la réforme, le gouvernement mène une intense campagne de communication. Mais son étude d’impact, diffusée vendredi, ne lève pas toutes les zones d’ombre.
La création d’un système universel de retraite par points relève toujours de la gageure. Vendredi 24 janvier, alors que se déroulait une huitième journée d’action interprofessionnelle, le gouvernement a déposé deux projets de loi en conseil des ministres. Il voulait signifier que la réforme irait à son terme, malgré l’opposition persistante de la CGT, de FO et de la FSU. Pour réussir, il a besoin de remonter son handicap de communication : la réforme, complexe, consiste à transformer progressivement les quarante-deux régimes de retraite existants en un système universel où 1 euro cotisé donnerait le même droit à tous. Mal ficelée et mal vendue, elle a suscité jusqu’à présent une immense défiance.
Ces derniers jours, Edouard Philippe, le premier ministre, mène avec quelques ministres une intense campagne de communication, qui tranche avec le silence du début : aux deux projets de loi a été adjointe une étude d’impact destinée à contrer la petite musique selon laquelle le nouveau système serait injuste et sonnerait le glas de la retraite par répartition. Selon les chiffres distillés, les 25 % de retraités les plus modestes verraient le montant de leur pension fortement augmenter (+ 30 % pour la génération 1980). Pour la même génération, l’écart entre les 10 % de retraités les plus riches et les 10 % les plus pauvres passerait de 7,1 à 5,1.
Autre effet notable : la retraite des femmes serait en moyenne améliorée de 6 % pour la génération 1980 et de 13 % pour la génération 1990, du fait d’une meilleure prise en compte des carrières hachées. Au dire du gouvernement, le système serait puissamment redistributif et beaucoup plus favorable aux précaires que les régimes existants.
Voilà qui est dit, mais, du côté des perdants, les choses restent beaucoup moins claires : le gouvernement refuse de désigner nommément les hauts revenus et ceux qui bénéficient actuellement d’une carrière ascendante, peut-être parce qu’il s’agit de son électorat. Il reste évasif sur le montant des concessions faites aux bénéficiaires de régimes spéciaux. Il entretient le flou sur le niveau de l’âge d’« équilibre », qui sera, en principe, fixé par les instances du nouveau régime, mais qui, dans les simulations, ressort à 65 ans. Pas rassurés, les opposants à la réforme continuent de dénoncer une « entourloupe ». Dans un avis très sévère, le Conseil d’Etat déplore « des projections financières lacunaires » et estime ne pas avoir le temps de « garantir au mieux la sécurité juridique » du texte.
Dans ce contexte, la phase parlementaire qui s’ouvre en février se présente comme une dernière manche, décisive. La gauche et la droite veulent prendre le relais de la rue. Leurs contre-propositions divergent, mais elles ont un intérêt commun : marquer des points avant les élections municipales en bloquant la réforme ou en conduisant le gouvernement à user de procédures autoritaires pour la faire adopter.
Un troisième intervenant, la CFDT, va jouer un rôle décisif. Depuis des années, Laurent Berger défend son projet de retraite à points, qui ne colle pas encore à celui du gouvernement. Avec l’aide d’économistes qui ont été naguère proches du candidat Macron, il va étudier les simulations, explorer les zones d’ombre, exiger des améliorations, en matière de prise en compte de la pénibilité notamment. Depuis le début du conflit, il s’est imposé comme un partenaire indocile, mais efficace. S’il veut surmonter la défiance, le gouvernement n’a pas d’autre solution que de lui tendre, de nouveau, la main.