Retraites : « Que penser d’une “réforme de progrès” dont on exonère certaines catégories pour qu’elles n’aient pas… à en souffrir ? »

  • 2020-02-05 16:55:36
L’économiste Jean-Paul Fitoussi s’inquiète du « désordre intellectuel » des architectes de la réforme. Bien des personnes plutôt aisées rencontrées dans des cercles divers, même proches, pensent que les chômeurs, les pauvres et les personnes en situation de précarité sont, en grande partie, responsables de leur destin. Que s’ils « se donnaient à faire », ils sortiraient sans peine de leur condition (même les retraités). Le degré de persuasion qui les anime est tel qu’on ne peut douter de leur sincérité. Ils sont convaincus que l’indemnisation du chômage aggrave le chômage. Ils n’ont pas lu le rapport de la Commission Macmillan en 1931, mise en place par le gouvernement britannique en 1929 pour étudier les réponses à la crise. Ils auraient alors compris que les emplois ne se créent pas quand on les cherche. Ils sont généralement individualistes et ne croient pas avoir besoin des autres. Leurs croyances sont fondées sur l’illusion technocratique que les positions occupées dans la société ne doivent rien à la naissance. Cette vision du problème social me semble le fruit d’un désordre intellectuel fondé à la fois sur l’ignorance de l’histoire et de ce que les Anglo-Saxons appellent « the endowment effect », c’est-à-dire la propension à se surévaluer soi-même. Ça ressemble à de l’arrogance, mais qui avancerait masquée. L’arrogance, on la reconnaît quand on la rencontre. Il s’agit ici plutôt d’un déni de l’exigence de solidarité. Ce désordre intellectuel de la classe experte (je n’aime pas le mot technocratie) a atteint un apogée avec la réforme des retraites. On pourrait avoir l’impression que ceux qui en sont les architectes ne la comprennent pas vraiment, même au moment de la grève finissante. C’est, jusqu’à présent, une réforme dont les termes, plutôt que d’être définis, sont nommés. Peut-être pour éviter de mettre à jour son penchant vers plus d’individualisme par la montée en puissance de la retraite par capitalisation qu’elle favorise. Chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits, disent ces messieurs. Mais ne pourraient-ils pas nous éclairer sur la différence entre la retraite par point et le régime actuel, les deux étant à leur dire par répartition ? S’agirait-il alors seulement d’un changement d’unité de compte ? Et serait-ce si différent de dire que chaque jour, ou semaine, ou mois travaillé, ouvre les mêmes droits ?

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